Le Goût du Voyage par Nina
- NinaLegoûtDuVoyage
- 18 sept. 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 nov. 2021

Quand je cherche mes premiers souvenirs de cuisine, de manière assez comique, je pense à nos expériences culinaires ratées avec mon père et ma sœur aînée, dans notre appartement du 11eme arrondissement de Paris. Je nous revois essayer de faire une glace "comme les romains" avec du sel pour faire chuter la température, et attendre désespérément que notre glace prenne. Ou quand mon père se justifiait avec toute la mauvaise foi dont il sait faire preuve après avoir encore raté ses meringues "les meringues, c'est connu, c'est très difficile à faire". Mais s'il n'est pas un fin pâtissier, c'est probablement le meilleur cuisinier amateur que je connaisse. Pour lui, ses premiers souvenirs de cuisine viennent de Bages, pour moi, ce sont ses travers de porcs aux cinq parfums, ses gnocchis à la sauce tomate maison, le gigot d’agneau que nous rongions jusqu’à l’os, les spécialités catalanes de mon arrière-grand-mère Irène et bien évidemment, les crevettes mayo, présentes à tous nos anniversaires.
Ma mère, elle, a une cuisine très différente de celle de mon père, et, s’étant séparés lorsque j’avais 3 ans, je ne les ai jamais vus cuisiner ensemble. Ma mère aime les grandes tablées, avoir du monde à la maison, des amies, des amies d’amies, la famille des amies, et tout ce mélange compose sa très grande famille. C’est probablement pour ça qu’elle a fait 4 enfants, 4 filles, elle qui a 3 sœurs. Et quoi de plus chaleureux que des plats traditionnels, une blanquette de veau, un pot-au-feu, le meilleur gratin dauphinois de France, des patates au four ou son poulet farci au Boursin. Elle n’aime pas cuisiner des heures comme mon père, ce qu’elle aime, c’est recevoir, partager et inclure le plus de gens possibles à ses dîners. Cela tombe bien, personne ne reçoit comme ma mère.
Mes parents m’ont transmis, chacun à leurs manières, l’amour de la cuisine. Ils portent un regard différent, mais complémentaire, sur celle-ci. Mon père m’a appris à jouer avec les saveurs des heures dans sa cuisine, ma mère m’a partagé le bonheur des grands dîners. Une histoire de transmission, une histoire de famille.

Mais comment pourrais-je parler de cuisine sans citer ma mamie maternelle, ma chère mamie bretonne, à qui je dois tous mes mercredi après-midi à manger des crêpes.
Ma mamie qui met la moitié d’une plaquette de beurre salé par plat et qui ne jure que par les échalotes. C’est pour moi la meilleure cuisinière de la famille. Drôle de paradoxe pour ma mère qui n'a découvert les talents de cuisinière de la sienne qu'à 40 ans, preuve que la temporalité et le contexte familial influent sur l’héritage culinaire de chacun.
Plus tard, loin de cet héritage familial, j’ai eu la chance de travailler pour la cheffe Alexia Duchene grâce à un message envoyé sur instagram à l’audace. Malgré ma non-expérience en cuisine, elle a accepté de me prendre un mois dans son restaurant bistronomique à Paris. Son équipe m’a formé, ils ont pris sur leur temps pour me guider dans cette cuisine et ils m’ont partagé leur amour pour ce métier. Un jour seulement après la fin de cette expérience, tous les restaurants en France ont fermé à cause du COVID.
Par un concours de circonstances, au lieu de vadrouiller à travers le monde à la recherche de recettes, comme c’était prévu, je me suis retrouvée prof de sport en centre pénitentiaire. Je suis passée du restaurant bistronomique, à l’odeur de la gamelle. Pourtant, même en prison, j’ai retrouvé cet amour de la cuisine, du partage, et j’y ai découvert l’importance qu’elle peut avoir dans la réappropriation d’une identité perdue. Ce fut le cas de Yanis, qui nous préparait depuis sa cellule les beignets frits algériens de sa mère lorsqu’il perdait au basket. Ou encore de Sacha, qui régalait sa codétenue avec son poulet Guyanais. Je repense avec amusement à cette fois où j’ai lancé un débat (sans le vouloir) entre des gens du voyage sur la meilleure cuisson du hérisson, ou lorsque qu'un détenu avait dissimulé 3kg de viande sur lui en sortant du parloir. Alors, je posais souvent cette question « quel est le premier truc que tu mangeras quand tu sortiras ? ». Pour beaucoup, l’important était de retrouver une cuisine liée aux émotions et aux souvenirs plus qu’au goût. On finissait par parler de ces plats aux saveurs réconfortantes qui ont bercé notre enfance, avec les figures maternelles en premier plans. Des bouts d’une histoire personnelle et unique, un moment de tendresse dans un endroit qui n’en autorise aucune. Georges Simenon avait probablement raison, « la bonne cuisine c’est le souvenir ».
C’est là toute la beauté de la cuisine. Elle est propre à chacun. Elle reflète notre histoire, nos origines, notre éducation, mais n’est jamais figée. Elle s’amuse avec nos émotions et joue des tours à notre cerveau lorsque nous cherchons à reproduire une recette de notre enfance. Elle est éphémère et éternelle à la fois. C’est une histoire d’héritage, une histoire de famille, une histoire d’identité, c’est une histoire d’êtres humains.
C’est cette histoire, ou plutôt ces histoires, que nous voulons capter dans ce voyage. Pas la meilleure recette du pays, mais celle, délicieuse et locale, qui a été, à un moment donné, la meilleure pour toute une famille.
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